L'hôtel de ville.

A sa mort à 63 ans, Alfred Fournier, habitant de Limoges, ayant perdu ses deux femmes et son enfant, lègue toute sa fortune à la ville, qui décide la construction de l’hôtel de ville en 1875.
La première pierre est posée en juillet 1879, et le 14 juillet 1883, Limoges inaugure son nouvel hôtel de ville, et son campanile haut de 43 mètres (bien que certains éléments de décoration notamment ne soient pas tout à fait terminés).
L’inauguration du bâtiment dura deux jours, et rappelle que la fête nationale républicaine du 14 juillet est décidée depuis 1880 :
 
  • le 14 : discours, défilé, jeux et distractions populaires dans divers endroits de la ville (concerts, régates sur la Vienne, bals champêtres, illuminations nocturnes de l’Hôtel de Ville, hymne national joué, fête vénitienne le soir sur la Vienne et orchestre et bal public devant la mairie)
  • le 15 : bal populaire, lâcher de pigeons, feu d’artifice, et ouverture de l’Hôtel de Ville à la visite.
L’hôtel de ville apparaît comme l’un des plus importants et représentatifs monuments de la IIIè République.

 

Contexte historique.

Jusqu'alors le XIXè.S subit une succession de régimes politiques instables de 1789 à 1870 : la France connaît 3 monarchies, 2 empires et 2 républiques éphémères. :
  • 1804/1815 : 1er Empire (Napoléon),
  • 1815/1830 : Louis XVIII,
  • 1830 /1848 : Monarchie de Juillet*(Louis-Philippe),
  • 1848/1852 : IIème République,
  • 1852/1870 : Second Empire (Napoléon III),
  • 1870-1940 : IIIème République
La période qui suit est marquée par la consolidation de la IIIème République et la recherche d’une certaine stabilité.
Limoges continue à cette époque son expansion industrielle liée à la fabrication de la porcelaine qui devient une production à grande échelle et malgré quelques vicissitudes qui rayonne sur les marchés mondiaux. La population atteint 60000 personnes, la ville s’agrandit, les faubourgs se transforment. Les républicains remportent les élections municipales.

 

La monarchie de Juillet (1830-1848)
Proclamée le 9 août 1830 après les émeutes dites "des trois glorieuses", elle succède en France à la Restauration. La branche cadette des Bourbons, la maison d'Orléans, accède au pouvoir. Louis-Philippe 1er n'est pas sacré Roi de France mais intronisé Roi des Français. Son règne, commencé sur les barricades de la Révolution de 1830 s'achève en 1848 par d'autres barricades, qui le chassent pour instaurer la Seconde République. La monarchie de Juillet marque la fin de la Royauté.
 
L'idéal du nouveau régime est défini par Louis-Philippe répondant fin janvier 1831 à l'adresse que lui envoie la ville de Gaillac : « Nous chercherons à nous tenir dans un juste milieu, également éloigné des excès du pouvoir populaire et des abus du pouvoir royal. »
C’est dans ce contexte qu’est construit le nouvel hôtel de ville.

  

Lien : https://www.communes.com/limousin/haute-vienne/limoges_87000/cartes-postales-anciennes,83.html

 

L’édifice.

C’est l’architecte parisien Charles-Alfred Leclerc (1843-1915) remporte le concours national lancé par la ville pour favoriser un mélange des genres et pouvoir « rivaliser en beauté avec les Hôtels de Ville des Départements Limitrophes ».
 
Charles Alfred Leclerc.
Né à Paris en 1843, il réalisa une brillante carrière. Il fut Grand Prix de Rome en 1868, et participa à de nombreux concours. Il travailla aux grands travaux de la Cour des Comptes dans les Tuileries, mais il est rarement cité dans les ouvrages de référence.
Ces concours sont dans l’air du temps au XIXè.S., l’architecte Leclerc remporta d’ailleurs la deuxième prime au concours d’architecture lancé par la ville de Paris pour la reconstruction de son Hôtel de Ville, incendié. On peut supposer que l’architecte s’inspira alors de celui de Paris, pour son modèle limougeaud.
Charles-Alfred Leclerc est vainqueur avec son projet appelé « Doctrina », et arrive devant 2 autres architectes parisiens.
 
Ce bâtiment devait être beau à regarder, agréable à utiliser.
 

L'extérieur.

La façade principale, d’un style composite harmonieux, inspiré de l’hôtel de ville de Paris, mêle des éléments antiques, néo-Renaissance, Louis XIII et néo-classicisme (phase transitoire dans l’architecture que l’on retrouve également dans plusieurs Hôtel de Ville de cette époque comme à Poitiers).
Sa façade a deux niveaux avec ses 51 mètres de développement, cache le plan en U et les deux ailes latérales à l’arrière, qui comportent trois niveaux.
 
Au rez-de-chaussée : Les cinq grandes arcades avaient été conçues pour accueillir les voitures hippomobiles de l’époque. L’entrée du milieu est particulièrement chargée en ornementations (sculptures, mosaïques, blason…)

On retrouve à plusieurs endroits le double L de Limoges en miroir (mosaïques, médaillons…)
L’étage noble (1er) est dévolu aux salles des fêtes, des mariages et du conseil et comprend 5 baies rectangulaires avec balcon surmonté d’un entablement avec corniche et architrave.

Des colonnes engagées (contre le mur de la façade) sont surmontées de chapiteaux corinthiens et de pilastres, typiques de l’architecture classique, décorés de feuilles d’acanthe.
 
Les hautes toitures d'ardoise, en pavillon ou à croupes, avec leurs lucarnes individualisent les trois corps de bâtiments dominés par un campanile central (beffroi) en structure métallique et zinc ornemental (d’abord réalisé en bois), qui attire le regard. Le campanile possède deux balcons, le dernier abrite les 3 cloches en bronze (accordées et pesant 200 kg) qui sonnent les quarts, les demies et les heures.
 
L’horloge est une œuvre de la maison Henry-Lepaute de Paris et est surmontée d’un cartouche portant l’inscription Lemovices, en référence au peuple gaulois installé dans la région avant l’arrivée des romains.
La date de 1882 correspond surement à la fin du gros œuvre.
Le motif centré sous l’horloge, portant l’écusson de la ville de Limoges, est épaulé par deux frontons curvilignes sur lesquels sont couchées deux grandes figures allégoriques drapées à l’antique représentant les arts limousins : l’orfèvrerie, l’émaillerie, dûes au sculpteur parisien Edme-Antony-Paul Noël (1845-1909).
L’une a les cheveux longs, l’autre les cheveux courts.
 
Edme-Antony-Paul Noël (1845-1909).
Sculpteur, 1er prix de Rome en 1868, il obtient plusieurs médailles et le Grand Prix lors de l’Exposition Universelle de 1889. Il réalise des bronzes, des statues, à Paris (square de Cluny), au Grand Palais des Beaux-Arts, à Versailles…
Les initiales RF de République Française sont bien-sûr symboliques de cette IIIème République, on les retrouve à plusieurs endroits dans l’édifice (à l’intérieur et à l’extérieur) mais ils sont finalement assez peu visibles (au-dessus de la porte cochère, à l’intérieur sur les 32 volutes de la corniche néo-classique du plafond du grand escalier, sur le blason face au buste de Fournier, sur la cheminée de la salle du conseil…)
Mais c’est sur la façade sous le porche qu’apparaît une seule fois la devise "Liberté-Egalité-Fraternité". Invoquée pour la première fois sous la Révolution Française elle s’impose réellement sous la IIIè République.
L’essentiel des éléments sculptés des façades (chapiteaux, écussons, armes de la ville…) est exécuté par le sculpteur Adolphe Martial Thabard , seul limousin de cette communauté d’artistes.
 
Adolphe Martial Thabard (1831-1905).
Sculpteur, il décore des bâtiments publics parisiens (Palais-Royal, Le Louvre, l’Hôtel de Ville…) Il travaille le bronze, le marbre, la porcelaine dure. Il réalise le Monument des Combattants à Limoges inauguré en 1899.
 
Initialement prévus en céramique, quatre médaillons d’1,30 m. de diamètre en mosaïque vénitienne de Jean-Dominique Facchina décorent l’acrotère de la façade principale et encadrent le blason de la ville. Ils représentent quatre limougeauds célèbres :
  • Léonard Limosin (1505-1577)*,
  • Le Chancelier d’Aguesseau (1668-1751)*,
  • Le conventionnel Vergniaud (1753-1793)*,
  • Le Maréchal Jourdan (1762-1833)*
Jean-Dominique Facchina (1826-1903).
Mosaïste réputé qui a inventé un nouveau procédé dit « pose indirecte » qui réduit les délais et travaille ainsi à Venise, à l’Opéra Garnier, il a aussi travaillé pour le petit Palais et la basilique du Sacré Cœur, à Lourdes, et à l’étranger.
 

L'intérieur. 

Dans le vestibule aux dimensions impressionnantes (24 m de Long sur 11,5 m de large), les douze pilastres portent des écussons en porcelaine et en émail fabriqués par la Manufacture Haviland en 1883 et décorés par les élèves de l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Limoges, évoquant les anciennes corporations datant du Moyen-Age de la ville (supprimées en 1791).
 
Les corporations (ou confréries).
Ces regroupements d’artisans ou de commerçants étaient sous la protection d’un saint patron, et était une société de secours mutuels. Il fallait prêter serment de respecter les statuts juridiques et prendre un repas en commun, après la messe, réunissant maître, compagnons et apprentis.
Ces blasons représentent les avocats, les notaires, les procureurs, les médecins-apothicaires, les chirurgiens et perruquiers, les imprimeurs-libraires, les ceinturiers-fourbisseurs-gantiers-pelletiers-potiers d’étain, les marchands, les serruriers-armuriers-couteliers-taillandiers-maréchaux-ferrants, les cordonniers-savetiers, les tailleurs-tapissiers-fripiers-chaussetiers, les tanneurs.
Ils agrémentent les structures porteuses en fer, une des premières utilisations de ce matériau dans l’architecture à Limoges, traitées comme éléments de décors et attirant l’œil vers le plafond à caissons.
On peut y admirer un lustre aux lignes très contemporaines du designer Olivier Gagnères pour la manufacture Bernardaud.

 

Le grand escalier d’honneur (monumental), en pierres du Jura, est orné d’un buste dû au sculpteur Thabard, représentant Alfred Fournier, dont le legs à la ville permit la construction du bâtiment. La réalisation de cette statue fut décidée dès 1875, et le 20 juillet 1880, l’ancienne « petite place St Martial » pris le nom de place Fournier.
Sous chacune des deux volées symétriques on peut admirer la statue en pied de Vergniaud à droite, signée Cartellier et à gauche un buste de femme drapée, symbolisant La Géographie, œuvre d’Alfred Désiré Lanson.
 
Sur le côté, au pied de l’escalier, une plaque en bronze de G.Prudhomme (1897) rend hommage aux victimes de la guerre de 1870, le blason de Limoges y figure.
Les 5 baies vitrées présentent 3 blasons de la ville et deux décors avec le L couronné, entouré de chêne et d’olivier.
Les deux vases en bleu de four du palier sont ornés respectivement du blason de la ville de Paris et de Limoges.
Les armoiries de la ville à l’effigie de St Martial Saint-Patron de la ville.
St Martial est très présent : son effigie sur fond d’hermine à trois fleurs de lys se trouve en façade au dessous de l’horloge et sur les vitraux du hall en émail dans le salon bleu sur la façade nord de la fontaine.
 
Au début des années 1990, la municipalité a modernisé son image et crée un logo qui symbolise les Arts du Feu (Eric Fabre).
 
A l’étage, encadrant les portes de la salle des fêtes, sont disposés deux panneaux décoratifs du peintre d’histoire et de mythologie Henri-Pierre Motte (1846-1922) représentant :

 

  • l'émailleur Léonard Limosin travaillant dans son atelier aux émaux du tombeau de Diane de Poitiers, favorite de François 1er et d'Henri II.
  • une scène très symbolique intitulée « Passé et présent », exposée au salon de 1884, représente Henri IV signant la réunion de la vicomté de Limoges à la France en 1605 : (Au fond estompé, le passé : une France fleurdelisée serrant la main à un jeune limousin pendant que le béarnais (Henri IV) les regarde avec bonté. Au premier plan, le présent mis en valeur par les couleurs : une Patrie-République victorieuse avec son épée et le drapeau tricolore est assise à côté d’un lion paisible couché à ses pieds).
     
 
Le plafond du salon bleu, ancienne salle du conseil, est décoré d’une allégorie : « le Génie de la liberté distribuant les franchises aux villes du Limousin » de Jean-Joseph Weerts - (1847-1927) : peintre d’histoire, de genre, de portraits, il a peint les plafonds de la Sorbonne à Paris.
D’inspiration grecque la Liberté au sein nourricier tend la charte des franchises aux villes : au premier plan Limoges, victorieuse, brandit l’étendard aux armes de la ville. A ses pieds, un enfans tient un phylactère portant le nom de Léonard Pénicaud, hommage au célèbre émailleur limousin de la Renaissance. Face à lui, un angelot peint un vase, évoquant ainsi l’activité de Limoges : l’émail.
 
Des peintures habillent également les trumeaux représentant le chancelier d’Aguesseau, la maréchal Jourdan, l’intendant Turgot et le girondin Vergnaud, certains étant déjà présents sur la façade.
L’émail présent sur la cheminée représente le blason de la ville (signé Ernest Blancher – 1855-1935)
 
Le plafond de la salle des mariages représente « L’union des époux » d’Urbain Bourgeois (né en 1842) : Peintre d’histoire et portraitiste, il réalise des sujets religieux.
L’époux met l’alliance au doigt de la main droite de son épouse au lieu de la main gauche. La subtilité est qu’il faut regarder dans le miroir placé au-dessus de la cheminée pour corriger l’erreur. Les vertus encadrent le couple nuptial et président leur union (la Tempérance, la Force, la Douceur, l’Innocence, la Fidélité)
 
Sur la cheminée un émail signé Louis Bourdery (1852-1901) symbolise l’union des époux : « Ubi fides, Ibi amor : Là où est la confiance, là est l’amour »
La salle des fêtes n’a jamais été décorée, elle abritait au départ les œuvres d’art du futur Musée Adrien Dubouché, on peut y voir cependant une tapisserie de Dom Robert (1963) et un tableau de Paul Rebeyrolle (1949-1951)
 
L’Hôtel de Ville a accueilli Charles de Gaulle, François Mitterand, et a subi des extensions en 1963-66 qui heureusement ne se voient pas du square.
 

 

 


Photo Gallery: L'hôtel de ville et la fontaine

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